La presse
Suivons les conseils et le vocabulaire bien-pensant du rédacteur en chef de l’(Im)partial-Express :
« Ne risquons pas d’anéantir les efforts (fiscaux) consentis pour améliorer l’attractivité de notre canton » - « Certaines augmentations de salaire ne correspondent pas à la réalité du marché du travail. » - « Nous n’en sommes plus à des clivages gauche-droite sur les efforts financiers à consentir. »
Voyons donc, soyons efficaces ! Continuons de baisser la fiscalité des gros revenus et des personnes (a)morales. Nous rejoindrons alors les difficultés financières des cantons de Fribourg, Lucerne, chantres de la « saine concurrence fiscale » !
Bien entendu, il faut comprendre que les revenus annuels de plusieurs millions correspondent, eux, à la réalité du marché du travail !
Quant au clivage gauche-droite, il a vécu depuis que le spéculateur milliardaire Warren Buffet a déclaré : « La lutte des classes a lieu et c’est ma classe, celle des riches, qui la gagne. » Et il a raison :
Les chiffres
En Suisse, les 300 plus riches ont vu leur fortune augmenter de 67 milliards en 2012 (Bilan). En Espagne, malgré la crise, il y a 47’000 millionnaires de plus en un an (Crédit Suisse). Au Portugal, les plus riches ont vu leur fortune croître de 13% (magazine Exame). Dans le monde, les 1200 milliardaires (record absolu en 2011) disposent, selon le magazine américain Forbes, de 4’600 milliards de dollars qui leur donneraient les moyens de payer la dette de l’Italie, de l’Espagne, du Portugal, de l’Irlande, de la Grèce. Et il leur resterait encore un milliard chacun, de quoi survivre ! De son côté, le Crédit Suisse s’intéresse aux 100’000 personnes (en hausse de 10%) disposant d’au moins 50 millions de dollars. La banque serait d’accord de leur fournir des liquidités pour leur permettre d’acquérir des voitures de luxe ou des biens immobiliers en montagne !
Mais à présent, cessons d’ironiser et essayons brièvement de comprendre ce qui se passe :
La crise pour les Nuls
En 1970, la Banque Royale de Suède crée un prix d’économie en mémoire d’Albert Nobel. (Bien des gens ignorent que ce prix ne figurait pas dans le testament de Nobel. Peut-être avait-il estimé que l’économie n’est pas une science exacte, mais plutôt politique et sociale).
Deux lauréats, Friedrich Hayek et Milton Friedman, en 1974 et 1976, vont influencer les politiques néolibérales menées par Margaret Thatcher, Reagan et Pinochet. Cette période est marquée par l’essor de la « Pensée unique », terme inventé par Ignacio Ramonet. Elle est caractérisée par l’affaiblissement de l’État, par des luttes antisyndicales, par la compression des salaires, etc. Après l’effondrement de l’Union soviétique, cette nouvelle idéologie, pratiquement sans rivale, va dominer le monde, aidée en cela par le développement foudroyant de l’informatique qui permet une globalisation de la finance, des services, des marchandises, etc.
Grâce à la spéculation, à la fraude fiscale, facilitées par les progrès du web, grâce aussi à la confiscation des gains de productivité par les actionnaires et les dirigeants d’entreprises, une minorité de la population s’enrichit vertigineusement, alors que les salaires stagnent. Ce manque de pouvoir d’achat est compensé par l’incitation au recours du crédit : ventes de voitures, prêts aux étudiants, ventes de biens mobiliers, et finalement de biens immobiliers à des personnes qui ne peuvent les payer. Après la crise des subprimes, les États sont contraints de venir en aide aux banquiers voyous et en supportent encore les conséquences. Donc, seule une répartition plus équitable de la richesse serait capable de résoudre la crise, mais on n’en prend pas le chemin.
Le néo-Moyen âge
Autrefois, c’est par les armes que la noblesse est parvenue à conquérir des territoires et affirmer ainsi sa supériorité. A présent, c’est grâce à l’argent qu’une nouvelle aristocratie est en train de se créer. Elle n’est plus confinée dans des châteaux, mais se déplace dans des hôtels de luxe, des résidences secondaires coûteuses, dans des lotissements protégés. Et elle a un point commun avec la noblesse médiévale : son inconscience et son indifférence, voire son mépris envers ceux qu’on appelait jadis les gueux et qui sont devenus aujourd’hui euphémiquement les chômeurs, les assistés sociaux, les sans domicile fixe, en un mot les salariés victimes de la précarité du travail et qui se font qualifier de parasites par les dominants.
Et ceux, trop rares, qui se permettent de critiquer un système visiblement mortifère à la longue se voient traiter de populisme, d’irréalisme, d’irresponsabilité. Il faudrait que la gauche consentante et complaisante prenne conscience que les grandes convulsions sont toujours survenues quand on ne les attendait pas et aux endroits les plus imprévisibles. On ne sait pas si la prochaine sera financière, économique, climatique, religieuse ou militaire, mais ce qui semble certain, c’est qu’elle risque bien d’être globalisée et meurtrière !