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Fleurier - Allocution du 1er mai 2010

 Mot d’ordre officiel : du boulot, des salaires et des rentes

mercredi 12 mai 2010


Ah oui, c’est la crise, c’est la crise, c’est la crise partout ! Comme ici où
Vaucher Manufacture licencie, Kyphon-Medtronic licencie, Etel a
licencié, Metalor a licencié, Zenith a licencié,… C’est la crise partout !
Euh, partout ? A ben tiens, non… Hier, l’assemblée des actionnaires du
Credit suisse a accepté les rémunérations accordées aux dirigeants de
la banque : 13 managers se sont partagés 149 millions de francs de
bonus (en plus de leurs salaires !), les 15 membres du conseil
d’administration se sont partagés 22 autres millions pour assister à
quelques séances annuelles, et le directeur de la banque a reçu en 2009
un salaire de 19 millions et pour 71 millions d’actions… Il a donc reçu à
lui tout seul autant que 2200 vendeuses. Et donc en tout cas, question
salaires et rentes, tous ces braves gens sont servis et bien servis, merci
pour eux. Et ils ne sont pas les seuls.

Alors quoi, c’est la crise ou pas ? Et d’abord c’est quoi cette crise ? Je ne
suis pas médecin, mais j’aime parfois jouer avec les mots. Alors il me
semble qu’on pourrait dire que cette crise, c’est un peu comme une
maladie, comme un virus ou une bactérie qui se répand dans le corps.
Mais c’est une bien drôle de maladie, une maladie où certains organes
dysfonctionnent mais où, au bout du compte, ce ne sont pas ces
organes-là qui ont mal et qui souffrent, mais d’autres.

Cette crise, ça a d’abord été une crise… cardiaque, puisque c’est le
coeur du système capitaliste – c’est-à-dire la bourse –, c’est ce coeur qui
a commencé à avoir des soubresauts, des palpitations, et qu’on a même
dit qu’il allait peut-être s’arrêter de battre. Mais bon, finalement, ce coeur
se porte bien, très bien même, la bourse s’est remise à battre comme
avant, voire mieux. Et en fin de compte, aujourd’hui les seuls qui ont le
coeur blessé sont les gens qui n’arrivent pas à vivre dignement dans
notre société de surabondance.

Cette crise, ça a aussi été une crise… d’asthme, puisque les banques –
qui sont comme le poumon du système néolibéral – étaient tout d’un
coup asphyxiées sous leurs crédits pourris. On a pu penser que ce
système économique était complètement essoufflé, qu’il allait étouffer.
Mais bon, en fait, le capitalisme semble de nouveau à l’air libre, les
profiteurs planent de nouveau au-dessus du smog dans lequel nous
sommes. En fin de compte, aujourd’hui les seuls qui s’essoufflent sont
ceux qui s’épuisent à faire des heures sup’ pour garder leur emploi.
Pour le système financier, ça a aussi été une crise… d’épilepsie, qui a
fait trembler puis qui a jeté à terre toute une série de sociétés, jusque là
bien fièrement dressées dans leurs gratte-ciels. Les états ont tenu de
force ces sociétés pour éviter qu’elles ne se blessent et ils leur ont
largement essuyé le front et les commissures des lèvres à coups de
billets de banque. Mais bon, maintenant, ces sociétés financières ont
rendu les billets de banque et elles se pavanent de nouveau comme si
rien ne s’était passé. Et en fin de compte, aujourd’hui les seuls qui
tremblent et qui sont laissés à terre sont ceux qui reçoivent leur lettre de
licenciement.

Donc là où ça fait mal aujourd’hui, là où les séquelles de la crise sont
visibles, ce ne sont pas dans le coeur ou les poumons, mais dans des
organes qui ont toujours bien fonctionné, ce sont dans les mains et les
pieds du grand corps social. Car ceux qui subissent la maladie de la
crise, ce sont avant tout ceux qui travaillent et ceux qui se déplacent
pour trouver de quoi vivre, ceux auxquels on a dit qu’ils n’étaient pas au
coeur décisionnel de la société mais plutôt dans ses extrémités.
Ce qui frappe notre société, ce n’est plus une crise cardiaque, c’est une
crise de goutte, une crise de rhumatisme, une crise d’arthrite. Ça doit
probablement être que l’argent est trop acide, il ronge tout, il détruit les
articulations de cette société où tout s’achète, même les discours du 1er
mai : j’ai vu qu’on peut acheter sur internet un discours du 1er mai, tout
prêt, pour 12.90 € (et c’est une affaire puisqu’il est soldé). Rassurezvous,
le mien vaut bien moins que ça…

Une crise d’arthrite donc, et aussi sûrement une crise de foie, mais de foi
dans le sens religieux du terme : on commence vraiment à douter de
l’avenir radieux de notre monde de consommation.

Et alors, face à cette crise, à cette maladie de la société, que font les soidisant
docteurs ?

Les thérapies proposées semblent souvent plutôt destinées à nous
rendre encore plus malades, et en revanche on est souvent aux petits
soins pour ceux qui n’ont vraiment pas besoin d’être aidés :
Ces jours-ci, Hans-Rudolf Merz a déclaré qu’il s’oppose à l’idée de taxer
les banques pour disposer d’un fonds qui servirait à éviter un éventuel
nouveau crash financier. Par contre, les citoyens, eux, doivent payer
pour renflouer leurs assurances sociales. Et ils risquent de le payer
cher : la volonté de baisser les rentes LPP a heureusement été
repoussée en votation il y a deux mois, mais la rémission est de courte
durée. Il faut maintenant se battre contre la 4ème révision de la loi
fédérale sur l’assurance-chômage, qui enfoncerait encore un peu plus
ceux qui ont besoin d’un appui de la collectivité. Et bientôt la 11e révision
de l’AVS et la 6e révision de l’AI vont nous pendre au nez.
Parfois, le Conseil fédéral utilise un placebo pour faire croire qu’il
cherche à remédier aux inégalités. Il a par exemple annoncé il y a 3
jours que les bonus distribués aux managers des entreprises seront
enfin désormais considérés comme du bénéfice et taxés comme tels…
mais seulement s’ils dépassent 2 millions de francs ! 2 millions ! en
dessous, rien !

Au niveau cantonal, les remèdes appliqués pour pallier à la crise laissent
tout aussi songeurs : on augmente les effectifs des classes ; on
autonomise le cnip sans s’assurer qu’il aie les moyens de tourner ; et
avant-hier, le Conseil d’Etat a présenté sa nouvelle stratégie en matière
de fiscalité des entreprises : si le Grand conseil le suit, notre beau canton
sera doté de l’une des lois les plus favorables aux entreprises de Suisse,
encore mieux qu’à Zoug ou Obwald. Et les gains de ceux qui reçoivent
des dividendes ne seraient plus taxés en entier : 40% seraient libres
d’impôt. Merci pour le cadeau !

Bref, Il ne me semble pas que ce soit la bonne direction pour se dépêtrer
de cette crise. Et en tout cas ce qui est sûr, c’est qu’il y a vraiment de
quoi en piquer une, de crise, lorsque l’on constate comment certains
s’enrichissent alors que d’autres trinquent, comment on aide des
banques et qu’on enfonce des chômeurs, ou comment certains élus
politiques disent vouloir le bien commun mais prennent en fait des
décisions qui favorisent un petit groupe de privilégiés !

Contrairement à ce que certains ont pu espérer il y a une année ou
deux, le système néolibéral n’a pas l’air de s’autodétruire. Alors, pour
transformer la crise actuelle en véritable crise existentielle du
capitalisme, pour provoquer une vraie crise de conscience, c’est à nous
d’être les virus et les bactéries dans ce système. Une bactérie ou un
virus, c’est minuscule, on ne le voit presque pas, et tout seul, il ne peut
rien faire. Mais si le milieu devient favorable, alors une bactérie ça se
multiplie, un virus ça se répand, et alors ça peut provoquer des
transformations terribles.

Je vous souhaite à toutes et tous une belle journée de 1er mai, pleines de
rencontres "virales" et "bactériennes". Croissons et multiplions-nous !

Thomas Perret

POP neuchâtelois  |   Dernière mise à jour: le 15 mars 2018

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