Article paru dans Le Courrier du 13 mai 2009
Il est choqué, Nago Humbert. Choqué « par les inadmissibles dérives électorales » qui ont eu lieu en avril dernier, lors du renouvellement des autorités cantonales. Le président de Médecins du monde Suisse se montre particulièrement outré par la violence des attaques – passibles de plainte pénale – dont l’écologiste Fernand Cuche a été victime. Pour qu’un débat fructueux et un climat plus sain renaissent dans le canton, Nago Humbert s’est allié à un groupe de citoyens dont il est, pour l’occasion, le porte-parole. Ensemble, ils ont fait paraître une lettre ouverte à Fernand Cuche dans une presse romande « peu encline à la publier dans son intégralité ».
Vous avez publié lundi un courrier dans le quotidien local. Vous dites avoir eu grand peine à diffuser l’intégralité de cet écrit. Quelles en sont les raisons ?
Nago Humbert : On m’a assuré qu’il fallait passer à autre chose. Alors nous avons publié notre lettre dans son intégralité aux frais de notre groupe dans L’Express-Impartial. Comme un avis politique, au coeur des annonces. Il nous en a coûté plus de 2000 francs.
Qu’est-ce qui vous a motivé à payer cette somme pour qu’il y ait impérativement publication ?
Nous ne contestons pas les scores du second tour au Conseil d’Etat, évidemment. Cependant, nous avons toutes et tous été écoeurés par la campagne des adversaires de Fernand Cuche. Nous voulions donc qu’il soit dit clairement à quel point les moeurs politiques neuchâteloises se sont dégradées durant ces dernières semaines.
Que reprochez-vous aux « moeurs politiques neuchâteloises » ?
Notre groupe réprouve la banalisation des attaques personnelles autant que les incitations à la violence contre Fernand Cuche : entre le premier et le second tour, ce dernier a reçu presque toutes les nuits des menaces de mort. Un courrier anonyme lui est parvenu, lui indiquant que sa ferme serait brûlée, etc. Ces méthodes fascisantes n’ont rien de commun avec la culture politique de ce canton. Leur utilisation est gravissime. J’ajoute que les médias, en focalisant leur attention sur l’exécutif, soit sur des personnalités, n’ont pas aidé à relever la vacuité du programme de la droite. Cette dernière et l’UDC en tête ont ainsi dirigé leur campagne contre Fernand Cuche. On ne s’est pas gêné de le faire passer pour un tyran écolo. Et cela par le biais de méthodes indignes d’une démocratie.
Vous avez été fort choqué par la campagne des jeunes libéraux-radicaux. Pourquoi ?
Les vidéos des jeunes libéraux-radicaux, encore disponibles sur internet, sont d’une piètre qualité. Mais ce qui me fait peur, c’est que ces politiciens en herbe sont fiers du contenu de leur propagande. Et qu’en est-il ? Neuchâtel, le « Neuchistan », se mute en une sorte de dictature du futur dans laquelle Fernand Cuche, alias « Kuchiwitz », est présenté comme un stalinien vert. Et il faudrait rigoler ? Au contraire, je suis affligé par cette pauvreté sémantique et ce mépris de l’histoire : ce n’est pas rigolo que de voter avec un pistolet sur la tempe ! De singer ce que certains d’entre nous ont vécu ou vivent encore en une vidéo, cela ne se fait pas. Car il y a des choses qu’on ne fait pas. Vous appelez la droite d’antan à réagir. Avez-vous reçu des réponses ? Effectivement, notre courrier interpelle la droite d’autrefois : Thierry Béguin, Jean-François Aubert... Pourquoi est-elle restée silencieuse devant ce massacre ? Personne de cette droite ne nous a encore contactés. Par contre, nous avons reçu des lettres d’insultes d’une grande bêtise. Leurs auteurs racontent à nouveau des horreurs sur Fernand Cuche, devenu en un temps record le bouc émissaire de tous les maux du canton ! Avec l’appel citoyen que nous avons lancé, ce n’est pas tant de Fernand Cuche qu’il est question. Mais véritablement de notre culture démocratique et du respect d’autrui.
Vous avez entre vos mains un courriel qui a abouti, entre autres, dans les boîtes de professeurs d’un des lycées du canton. Vous qualifiez ce collage et son slogan d’odieux.
Oui. On y voit Fernand Cuche affublé d’une tête de grand tétras et d’une cible. Une phrase accompagne ce montage : « On n’a plus le temps pour les sommations, on tire à vue. » Je me demande ce qu’en pense le libéral-radical Philippe Gnaegi, directeur du lycée Jean-Piaget, fraîchement élu au Conseil d’Etat...
Selon vous, ce courriel peut-il être interprété comme une forme d’appel au meurtre ?
En somme, ce collage fabriqué et envoyé par un responsable de campagne du PLR donne l’autorisation de tuer. Et je pense que certaines personnes sont capables de passer à l’acte. En France, dans certaines manifestations du Front national, on a passé des Maghrébins dans la Seine : ce ne sont pas les gens du FN qui font cela. Mais d’autres, bercés par une idéologie et par tout ce qu’on laisse dire. Au Rwanda, la propagande laissait entendre que les Tutsis étaient des cafards : pas grave, dès lors, pour certaines personnes peu éduquées que d’écraser un cafard ! Bien entendu, c’est incomparable avec ce qui s’est passé pour M. Cuche. Et pourtant.
Aucun média n’a commenté la campagne internet. Que comprenez-vous par-là ?
J’ai été impliqué dans une affaire avec Taslima Nasreen. Cette médecin-gynécologue a dû fuir le Bengladesh, parce qu’une fatwa avait été posée sur : elle recevait des menaces de mort. Les journalistes qui l’accusaient de « se faire mousser » pour vendre des livres se seraient senti mal le jour où un extrémiste l’aurait abattue. Dans ce registre d’idée, la presse se serait peut-être mieux intéressée à la campagne nauséabonde menée contre Fernand Cuche, s’il y avait eu des conséquences spectaculaires et probablement fâcheuses.
Selon vous, l’éviction de M. Cuche rime également avec le rejet de la différence. Pouvez-vous préciser ?
En tant que ministre, Fernand Cuche a commis des erreurs politiques. Nous ne remettons pas en cause son éviction. Et nous sommes conscients que l’écologiste aurait peiné à regagner son siège, même sans cette campagne « anti-Cuche ». Nous sommes plus soucieux quant au fait que cette période électorale a démontré une sorte de détestation de l’altérité par la droite. On a senti que la cour du Château n’était pas faite pour toutes et tous. Qu’un type comme Fernand Cuche n’y avait pas sa place. Si c’est pour se faire lyncher parce que l’on n’est pas main stream, lisse, que l’on provient d’un milieu modeste, que l’on a une pensée différente susceptible d’amener au canton une grande richesse, à quoi bon prendre le risque de se lancer dans la course ? Pour voir son visage affublé de croix gammées sur les affiches électorales, comme cela a été le cas de M. Cuche ? Il y a de quoi hésiter ! Pourquoi ne pas avoir réagi plus tôt ? Fernand Cuche était coincé. Je ne m’en cache pas, il est un ami de longue date et m’a confié avoir peur qu’une démarche exposant sa situation soit contre-productive. Mon expérience m’a appris que l’on se sent toujours coupable quand on est agressé. Même si l’on n’a rien fait.
Fernand Cuche portera-t-il l’affaire devant la justice ?
Je ne le sais pas.
Regrettez-vous que les intellectuels neuchâtelois ne se soient pas manifestés ?
Oui, nous le déplorons. Où étaient les intellectuels, les professeurs d’université, les ligues des droits de l’homme, ...? Où étaient-ils pour dire « halte ! ». Depuis la publication de notre lettre, nous recevons des courriels de remerciement de la part de toutes sortes de gens estimant que « cela devait être dit ».
Dans cette spirale de violences qui a contribué à la défaite de Fernand Cuche, comment imaginez-vous le retour de la paix ?
Notre action citoyenne a lieu parce nous avons gardé notre faculté d’indignation. Sachez qu’au Canada, toutes les dernières affiches de l’UDC auraient été condamnées par la loi. Ce parti a pourri le débat dans notre canton. Mais quand, en plus, la droite démocratique et bourgeoise ne réagit pas, il y a lieu de s’inquiéter. Il serait salutaire que les états-majors de ces partis organisent une table ronde. Oublions les élections et parlons sincèrement de ce qui s’est passé, afin que le débat démocratique et respectueux renaisse de ses cendres. Quel est le projet politique des libéraux-radicaux ? En tous les cas, abattre un homme n’en est pas un.